Mise en disponibilité du praticien hospitalier désirant exercer au sein d’une société de médecins, après les décrets de 2022

par Eva Jacquin, avocat à la Cour, of counsel, Cabinet STH2

Contexte. – Un praticien hospitalier souhaite se mettre en disponibilité afin d’exercer à titre libéral à temps complet au sein d’une SEL de médecins. A cet effet, le praticien hospitalier envisage de solliciter une mise en disponibilité et s’interroge sur les démarches à entreprendre.

Notion de mise en disponibilité. – La notion de « mise en disponibilité » n’est pas définie dans les dispositions spéciales du statut des praticiens hospitaliers. Il s’agit de la position statutaire du fonctionnaire qui est placé hors de son administration et cesse de bénéficier de ses droits à l’avancement et à la retraite (R. Chapus, Droit administratif général, t. 2, 15e éd., p. 226). En ce qui concerne les praticiens hospitaliers, l’art. R.6152-14 du Code de la santé publique (CSP) ajoute que le praticien mis en disponibilité cesse de percevoir ses émoluments mensuels.

L’art. R.6152-62 CSP prévoit que le praticien hospitalier peut être mis en disponibilité, soit d’office dans certains cas particuliers prévus par le CSP, soit sur sa demande. Dans ce dernier cas, la mise en disponibilité est de droit dans certains cas, ou soumise à l’autorisation de l’autorité hiérarchique dans d’autres cas (convenances personnelles).

Mise en disponibilité de droit. – La mise en disponibilité est accordée de droit (c’est-à-dire qu’elle ne peut pas être refusée par l’administration) au praticien hospitalier pour élever un enfant âgé de moins de 12 ans, pour une durée ne pouvant excéder 3 années, renouvelable dans la limite d’une durée totale de 9 années (art. R.6152-64- I-2° CPS).

Cependant, ce cas de mise en disponibilité n’est pas compatible avec l’exercice en SEL à temps complet envisagé par le praticien hospitalier pendant la période de disponibilité.

En effet, toute activité professionnelle pendant une disponibilité de droit est interdite. L’exercice libéral de la médecine à temps plein dans le cadre d’une SEL ne rentre pas dans ce cas de figure et n’est donc pas possible pendant une période de mise en disponibilité de droit pour élever un enfant.

Mise en disponibilité pour convenances personnelles. – Si le praticien hospitalier voulait donc obtenir sa mise en disponibilité pour ce type de raison, il devrait effectuer une demande de mise en disponibilité pour « convenances personnelles » sur le fondement de l’article R.6152-64-II-2° CSP, pour une durée ne pouvant excéder 3 ans, renouvelable pour la même durée, sans pouvoir excéder un total de 10 ans sur l’ensemble de la carrière du praticien. La demande de mise en disponibilité pour convenances personnelles est soumise à une autorisation préalable et n’est accordée que « sous réserve des nécessités du service » (art. R.6152-64-II CSP).

Procédure de demande de mise en disponibilité. – la procédure est fixée par l’article R.6152-65 CSP, modifié par le décret n° 2022-134 du 5 février 2022 relatif au statut de praticien hospitalier et prévoit que : « La demande de mise en disponibilité ou de renouvellement est présentée deux mois avant la date à laquelle elle doit débuter au directeur de l’établissement d’affectation par le praticien. La mise en disponibilité et son renouvellement sont prononcés par arrêté du directeur général du Centre national de gestion et […] après avis du chef de pôle, du chef de service, du président de la commission médicale d’établissement et du directeur de l’établissement dans lequel exerce l’intéressé pour la demande initiale et le premier renouvellement de celle-ci. Ces avis ne sont pas requis pour les renouvellements suivants ». Le praticien doit faire parvenir au directeur général du Centre National de Gestion des praticiens hospitaliers (CNG) un courrier recommandé précisant les motifs personnels de sa demande 2 mois au moins avant la date à laquelle il souhaite que sa mise en disponibilité commence. La mise en disponibilité relève du pouvoir d’appréciation du directeur général du CNG en fonction des 4 avis obligatoires à recueillir : celui du chef de pôle, celui du chef de service (ajout du décret du 5 févr. 2022), celui du président de la CME, et celui du directeur de l’établissement.

Si le directeur général du CNG n’est pas lié par ces avis locaux, il est cependant rare qu’il ne les suive pas. En cas de refus, sa décision doit être motivée.

En l’absence de réponse du directeur général du CNG à l’issue du délai de deux mois, l’autorisation est présumée être implicitement refusée (art. L231-4-5° du Code des relations entre le public et l’administration).

Saisine de l’autorité hiérarchique et possibilité d’un contrôle déontologique. – En sus de la saisine du directeur général du CNG, le praticien doit également saisir par écrit l’autorité hiérarchique dont il dépend, en application de l’article 25 octies, III, de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Ainsi, le praticien qui souhaite faire une demande de mise en disponibilité pour convenances personnelles aux fins d’exercer une activité privée, doit saisir préalablement par écrit l’autorité hiérarchique dont il dépend afin d’apprécier la compatibilité de toute activité lucrative, salariée ou non, dans une entreprise privée ou de toute activité libérale, avec les fonctions exercées au cours des 3 dernières années précédant le début de cette activité. Notamment, l’autorité hiérarchique examine si cette activité privée risque de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l’indépendance ou la neutralité du service.

Le praticien doit fournir les justificatifs attestant du lieu d’exercice de l’activité envisagée et du type de missions. L’autorité hiérarchique a alors deux mois pour se prononcer sur la compatibilité de l’activité envisagée par le praticien. Il convient donc de la saisir au moins deux mois avant le début de la mise en disponibilité souhaitée.

Les articles 24 et 25 du décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique viennent préciser cette procédure.

« L’autorité hiérarchique » visée par la loi de 1983 précitée est (i) soit le chef d’établissement du praticien, (ii) soit le directeur général du CNG pour les personnels de direction occupant un emploi de chef d’établissement (art. 3-1° décret n° 2020-69).

Il en résulte que le praticien hospitalier devra, s’il n’a pas le statut de chef d’établissement, à la fois saisir le directeur général du CNG pour sa demande de mise en disponibilité, et le chef de l’établissement de santé auquel il est rattaché, sur la question de la compatibilité de l’activité qu’il envisage pendant sa mise en disponibilité. Ces deux procédures doivent être initiées au moins deux mois avant la date de mise en disponibilité souhaitée, par lettres recommandées AR.

Lorsque l’autorité hiérarchique a un doute sérieux sur la compatibilité de l’activité envisagée avec les fonctions exercées par le praticien au cours des 3 dernières années, elle saisit sans délai pour avis, préalablement à sa décision, le référent déontologue. La saisine du référent déontologue ne suspend pas le délai de 2 mois dans lequel l’administration est tenue de se prononcer sur la demande de compatibilité de l’activité privée envisagée par le praticien.

Lorsque l’avis du référent déontologue ne permet pas de lever le doute, l’autorité hiérarchique saisit sans délai la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique qui rend, soit un avis de compatibilité, soit un avis de compatibilité avec réserves prononcée pour une durée de 3 ans, soit enfin un avis d’incompatibilité. La Haute Autorité doit rendre son avis dans un délai de 2 mois à compter de sa saisine. L’absence d’avis dans ce délai vaut avis de compatibilité (art. 25 octies, IX, de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983).

En pratique, cette procédure de contrôle déontologique est très peu utilisée. Il faut remonter à deux avis de la Commission de déontologie en date du 17 novembre 2010 pour trouver des illustrations d’un tel contrôle. Par exemple, dans un avis n° 10-A1253 du 17 novembre 2010, la Commission de déontologie a subordonné l’avis de compatibilité au fait que le chirurgien aille exercer dans un établissement privé ne se situant pas dans la même agglomération que le centre hospitalier où il exerçait auparavant en raison du risque pour le bon fonctionnement du service car il était le seul chirurgien dans sa spécialité lorsqu’il exerçait au centre hospitalier et le centre hospitalier continuait d’assurer un service d’urgence).

Sanctions en cas de non-respect de la procédure. – Lorsque l’autorité hiérarchique n’est pas préalablement saisie par le praticien hospitalier, ou si l’avis rendu par la Haute Autorité n’est pas respecté, le praticien peut faire l’objet de poursuites disciplinaires, et il est mis fin au contrat dont il est titulaire à la date de notification de l’avis rendu par la Haute Autorité, sans préavis et sans indemnité de rupture (art. 25 octies, XI, de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983).

Non-concurrence prévue par le Code de la santé publique. – L’art. L.6152-5-1 CSP prévoit la possibilité pour les établissements publics de santé de mettre en place une obligation de non-concurrence pour les praticiens hospitaliers dont la quotité de temps de travail est au minimum de 50 %, lorsqu’ils risquent d’entrer en concurrence directe avec l’établissement public de santé dans lequel ils exerçaient à titre principal. Dans ce cas, le directeur de l’établissement de santé dont dépend le praticien hospitalier peut lui interdire d’exercer une activité privée dans un cabinet libéral, un établissement de santé privé, un laboratoire de biologie médicale privé ou une officine de pharmacie.

Le code de la santé publique précise que l’interdiction ne peut excéder une durée de vingt-quatre mois, et qu’elle ne peut s’appliquer que dans un rayon maximal de dix kilomètres autour de l’établissement public de santé dans lequel le praticien exerce à titre principal.

En cas de non-respect de cette interdiction, une indemnité est due par le praticien pour chaque mois durant lequel l’interdiction n’est pas respectée. Le montant de cette indemnité ne peut être supérieur à 30 % de la rémunération mensuelle moyenne perçue durant les six derniers mois d’activité.

L’instauration d’une telle obligation de non-concurrence est facultative, la loi n’obligeant pas les établissements de santé publics à la mettre en place. En vérité, la procédure d’instauration d’une telle obligation de non concurrence est lourde, puisqu’elle implique que le directeur de l’établissement support fixe, sur proposition des directeurs des établissements membres du groupement hospitalier de territoire, après avis de la commission médicale de groupement et du comité stratégique, les conditions de mise en œuvre de cette interdiction, par profession ou spécialité, et, le cas échéant, par établissement, selon des modalités définies par voie réglementaire.

Modalités d’application. – Les modalités de mise en œuvre de l’art. L.6152-5-1 CSP ont été fixées par le décret n° 2022-132 du 5 février 2022 portant diverses dispositions relatives aux personnels médicaux des établissements publics de santé. Ce décret introduit les articles R.6152-827 et suivants dans le CSP. En résumé, les nouveaux textes viennent préciser que la décision par laquelle le directeur de l’établissement fixe les conditions de mise en œuvre de l’interdiction d’exercice est portée à la connaissance de tous les praticiens concernés par tout moyen approprié ; le décret vient également préciser la procédure de sanction à l’encontre du praticien en cas de non-respect de l’interdiction.

En réalité ce décret n° 2022-132 apporte peu d’informations complémentaires, l’article L.6152-5-1 du CSP contenant déjà les indications essentielles pour la mise en œuvre du dispositif de non-concurrence.

Toujours est-il qu’il convient, pour le praticien hospitalier, lorsqu’il fait sa demande de mise en disponibilité, de se renseigner au préalable sur l’existence éventuelle d’une obligation de non-concurrence instaurée par l’établissement public de santé dont il relève.

Fin de la période de disponibilité. – A l’expiration d’une période de disponibilité, un praticien qui n’a, ni repris ses fonctions, ni obtenu une prolongation de sa disponibilité, est licencié (R.6152-14 CSP).

Résumé opérationnel des démarches à entreprendre par le praticien hospitalier :

➢ Vérification de l’existence ou non d’une obligation de non-concurrence instaurée par l’établissement de santé public dont il relève

➢ Envoi de la demande de mise en disponibilité pour convenances personnelles au directeur général du CNG par LRAR au moins 2 mois avant la date souhaitée de prise d’effet en exposant les motifs personnels de sa demande

➢ Concomitamment, saisine du chef de l’établissement de santé par LRAR avec les justificatifs attestant du lieu d’exercice de l’activité envisagée et du type de missions

Octobre 2022 – © jacquin@sth2.law